Jean-Louis Larochette-Prost nous fait la gentillesse de nous écrire un texte fort intéressant sur l'indépendance entre la jeunesse et le monde des adultes... bref, sur la Bande des Ayacks et quelques autres oeuvres de premier plan, entre autres!
Comme souvent avec Jean-Louis Larochette-Prost, la réflexion est invitée à aller au-delà du texte. Je pense par exemple à ce qu'a pu dire le Finkielkraut des années 80 sur la "culture jeune", ou tel autre auteur sur l'enfermement des jeunes, par les adultes, dans une bulle culturelle à eux. Enfermement consenti, revendiqué, subi... ou inexistant? Cela sera peut-être pour d'autres billets. Foncine, lui, prenait la plume des "Ayacks" sur un thème voisin dans les années 30...
Mais lisons plutôt. La suite sera publiée dans quelques jours.
Des sociologues, des pédagogues, des religieux, enfin des adultes qui se sont penchés sur les questions relatives à la jeunesse se rejoignent souvent sur le thème de « la société sans pères », notamment quand ils évoquent des enfants et adolescents livrés à eux-mêmes à plus ou moins long terme. Des écrivains ont eux aussi contribué à cette approche, dans des romans très différents dont les héros sont, à un moment donné, libres de toute autorité parentale, sociétale et autre, avec les conséquences les plus variées.
Dans sa somme « le Folklore français » – près de 3000 pages (Laffont, collection Bouquins) –, Arnold Van Gennep consacre un chapitre plutôt fourni à « la deuxième enfance et l’adolescence », c’est-à-dire aux jeunes de sept à environ dix-sept ans. Bien que l’ouvrage date d’avant la Seconde Guerre mondiale, certaines remarques de l’auteur sont encore d’actualité, notamment quand Van Gennep aborde les us et coutumes de la société enfantine, où, par exemple, la délation est considérée comme le pire des crimes, du moins en France et dans les pays latins en général, surtout si ladite délation est au service des adultes. Par là, le mensonge est admis quand il sert de subterfuge pour fuir ou détourner l’autorité des grandes personnes, alors qu’entre enfants c’est un délit sévèrement punissable, comme la bouderie et la paresse : « Chacun doit prendre sa part de ce qui pour nous [les adultes] est un jeu, mais est pour les enfants une activité sérieuse, la seule activité même dont ils soient les maîtres absolus, alors que le travail, lui, est toujours commandé. » Auparavant, le folkloriste dit que « dans toutes nos régions, il s’est ainsi formé un ensemble de prescriptions négatives (interdictions) et positives qui constitue un véritable folklore juridique où s’expriment notamment des conceptions très nettes sur les droits de la propriété. » Autrement dit et pour résumer, les enfants forment un groupe social beaucoup plus indépendant des adultes qu’on ne le croit – ce qui est aujourd’hui nettement moins évident, puisque les enfants du XXIe siècle sont bien plus « encadrés », y compris et peut-être surtout dans leurs loisirs, que ne l’ont été leurs parents et grands-parents.
Le gros ouvrage d’Arnold Van Gennep, parmi d’autres études du même genre, permet de mieux comprendre pourquoi et comment les auteurs de romans pour la jeunesse d’alors ont pu aisément mettre en scène des enfants et des adolescents dans des aventures qui seraient quasiment impensables (irréalisables, etc.), de nos jours. C’est que les jeunes héros de ces temps révolus étaient farouchement indépendants des adultes, mais aussi à l’écart du désormais sacro-saint principe de précaution, entre autres contraintes maintenant inévitables dans le cadre des activités ludiques hors du milieu scolaire et familial. Dans ces années-là – les plus de cinquante ans le savent bien – on prenait le train tout seul, à huit ou neuf ans, pour traverser la France en vue de rejoindre un parent ou un ami de la famille chez qui on passerait les plus belles vacances en compagnie d’autres gamins, cousins ou non, avec qui on échafauderait les meilleurs plans d’aventures avec constructions de cabanes, d’arcs et de flèches, sans compter les escapades à la barbe des grandes personnes. On rentrait les genoux écorchés, les jambes lacérées par les ronces, trempés, sales et décoiffés, mais on avait « fait », entre gosses pratiquement libres et autonomes. Et parfois entre deux fessées...
(à suivre)
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