Et maintenant, après avoir soufflé le froid, voici le chaud. Premier d'une série de 4.
Le remplaçant
Dans un billet précédent, j’ai exposé les raisons pour lesquelles la série des Prince Eric ne peut pas être classée dans la « littérature catholique » (ou chrétienne, peu importe) selon l’acception qu’on donne généralement à cette expression. Au lieu d’en remplir trois pages, j’aurais simplement pu observer que les livres de Serge Dalens se rangeaient d’eux-mêmes dans une des cases de la littérature de genre et donc ne pouvaient prétendre être de la littérature chrétienne qui est implicitement un sous ensemble de la « grande » littérature. Lorsqu’on sait déjà qu’une langouste n’est pas un mammifère, on ne se demande pas si c’est un chien.
Mais cette question de littérature de genre et de sous-culture catho en général (oui, j’avais zappé la référence à Glorious lors de la première lecture et ça vaut mieux comme ça) me fait remarquer qu’en regard de la bibine confessionnelle qui fait accepter au nom de la religion des productions culturelles médiocres, la série Le Prince Eric a beaucoup de qualitésmême si il est facile de la mettre en boîte. Que celui qui a détesté jette la première pierre : je suis pour ma part de l’avis que ceux qui s’amusent des traits caricaturaux de la première saga de Serge Dalens sont les mêmes qui ont passé des nuits blanches pour la lire plus vite quand ils étaient gamins.
Alors oui, Le Prince Eric, en 2011, ça fait un peu vieille France. Oui, le mélo n’en est pas absent, bien au contraire. Oui, on y cite Richepin, et on y flatte Sibelius à cause de Finlandia. Oui, un Poirot-Delpech a pu troller en écrivant qu’on avait du mal à imaginer Eric septuagénaire hésiter à signer le traité de Maastricht. Oui, les opinions y exprimées sur la « drôle de guerre » rappellent un café du commerce militaire. Mais est-ce là la colonne vertébrale des quatre romans ? Au contraire, si on regarde attentivement, si on replace dans le contexte, la série des Eric est quelque chose de très peucompassé, qui regorge de qualités.
Un style au top
La première de ces qualités est l’écriture et la narration. Comme il est courant dans les meilleurs romans de jeunesse, il n’y a pas de gras. De l’action, des dialogues, de l’énergie. Chaque chapitre est un bond vers le dénouement. Et, marque de fabrique de la collection Signe de Piste, du positif : des sourires, de la camaraderie, de la solidarité, de la bienveillance et une inextinguible bonne humeur. Le Prince Eric au ski à Courch’, torse poil, c’est l’éclate totale.
On a pu qualifier la narration de Dalens de cinématographique, surtout à cause du début du Prince Eric où le lecteur se croit à la place d’une caméra qui suit une troïka entrant dans la cour du château de Swedenborg. Le style favorise la visualisation, par le lecteur, des scènes lues. On voit les lieux – et les illustrations y aident –, on imagine les personnages : recours à l’imagination très fécond pour un jeune lectorat. Outre le travelling cité, il faut rendre justice auxflashes-back de Christian dans son oubliette, aux scènes d’action pure (Eric contre le sanglier, la fin de Tadek, les scènes de guerre dans La Mort d’Eric), aux courses-poursuites (Remy qui court après son train, Christian qui cavale après Eric qui cavale avec des idées noires).
Il faut rendre justice enfin au sens affiné du rythme de l’auteur. A l’exception du Prince Eric qui semble souvent trop mou ou trop tendu, les autres volumes alternent admirablement des scènes d’action et des moments de répit, qui sont d’ailleurs très souvent collectifs (un dîner à l’auberge du pont de Gennes, une bière à Berlin en mémorable compagnie, une réunion de patrouille, un convalescent en chaise longue à Birkenwald…). Pas le temps de méditer sur soi !
Pierre Schneider
(à suivre)
Commentaires