Ci-dessus : "Tadek, il y a une *** dans mon potage"
Les adolescents pris au sérieux
La seconde qualité, c’est l’idéal de la société adolescente. J’ai dit hier que les prêtres n’apparaissaient pas : les adultes en général, guère plus. Ils sont là pour le strict minimum : accompagner leur progéniture à la gare, coordonner des recherches avec les gendarmes quand un scout disparaît, faire tourner un gouvernement… ou enregistrer une heure de décès. Toutes les fois qu’on peut se passer d’eux, on le fait. C’est ce qui rend la fin de la saga si tragique : les adultesfinissent par gagner. Ils rappellent que, si la fin des vacances ne suffit pas à ramener les pieds des adolescents sur terre et dans leur cage, l’âge et la majorité s’en chargeront et présenteront la facture.
C’est dire que la société dont parle Dalens dans ces quatre volumes est une société d’adolescents. Le reste, ce sont des béquilles, cela ne l’intéresse pas. Même lors de la drôle de guerre où l’élément adulte devient incontournable, les principales scènes ne mettent en jeu que des soldats qui étaient gamins le mois d’avant. C’est le cas de tous les combats, de la cérémonie de fin d’année à Saumur, de la scène sur la plage de Dunkerque. Il faut noter à cet égard que Dalens, qu’on a vite taxé de militarisme, ne donne jamais une aussi mauvaise image du monde adulte que lorsqu’il est galonné. En témoignent l’altercation avec le sergent anglais et surtout la scène de bizuthage d’Eric lors de l’arrivée dans son régiment. Pour la seule fois ou presque le héros se met en colère : c’est la guerre au dehors et eux, ils ne pensent qu’à faire les cons avec leur « tradition » !
Ci-dessus : "le devoir du scout commence à la maison"
Croyez-moi ou pas, mais à la fin des années trente, représenter une bande d’adolescents maîtres de leur destin, c’étaitloin d’être vieille France ou compassé, loin des barils de moraline déversés sur une littérature de jeunesse édifiante et castratrice. C’est la grande cousine vieille fille de Rémi de Terny, cette nouvelle mère Mac Miche, celle qui le garde sous clé, qui représente la littérature de jeunesse de l’époque. Elle voudrait que Rémi soit un personnage de cette littérature-là, qui fait son lit, soigne son « devoir d’état », met le couvert le soir, a des bonnes notes, dit bonjour à la dame et, s’il a été sage, est autorisé à faire une chaste partie de ballon au square avec un de ses amis bien comme il faut dont on connaît les parents. Avec les mains seulement, le ballon, le foot c’est pour les voyous.
Ci-dessus : elle est belle, la vieillesse!
Dalens a donc cette autre qualité, celle de prendre les jeunes au sérieux, même si c’est pour leur raconter de trop belles histoires ou des préfaces ambigües. Comme tout auteur exprime toujours un peu son époque et son milieu, les jeunes que Dalens a pris au sérieux habitaient les quartiers bourgeois de Paris. L’auteur évitait ainsi de parler de ce qu’il ne connaissait pas ; et qui dirait que les jeunes de la bourgeoisie n’ont pas besoin d’être considérés autant que les autres ?
Ci-dessus : le coup de foudre
Une amitié passionnée
Autre qualité encore, qui est une surprise pour un roman de ce milieu et de cette époque, c’est l’intensité affective qui unit Eric et Christian. Sur le quai de la gare, c’est déjà presque le coup de foudre à l’envers. Ils s’impressionnent. Ils n’osent pas trop. Et pour cause, l’un doit tuer l’autre. Trois ou quatre ans plus tard, ils sont pratiquement inséparables. Un critique le regrettait presque : « ce n’est que chevauchées et parties de voile ensemble ». Christian fait un ulcère à l’idée qu’ils ne feront pas la guerre ensemble. Et finalement si. Pas d’Eric sans Christian et sinon, une lettre par jour.
Lorsque Christian est fait prisonnier et emmené en Allemagne, que représente l’illustration voisine ? Le souvenir des camps d’été avec Eric. Le choc de la disparition sera tel, en fait, que Christian ne se mariera jamais, vouera toute sa vie à l’armée puis au renseignement militaire, cherchera les endroits les plus dangereux (l’Indochine dans Les Fils de Christian) et forcera même Dalens à écrire un mauvais polar, L’affaire Balzac. Après la mort d’Eric, c’est un peu Christian La Lose. Il n’est plus complet, il ne sait plus après quoi il court.
On imagine les autres scouts de La Tache de Vin en train de les désigner. « Tu sais qui c’est, ceux la ? C’est Eric et Christian. – LES Eric et Christian ? Ceux du roman ? – Ben oui mon pote. » La collection Signe de Piste, toujours férue d’auto-citation, aurait adorée. Quel autre roman de la même époque a parlé d’amitié d’une manière aussi marquante ?
Ci-dessus : star system
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