(suite du précédent billet)
Il reste le monde des filles. Je ne suis pas et je n'ai jamais été un garçon à filles. J'étais trop discret et un peu timide. Cependant j'ai toujours été amoureux en secret. L'élue de mon cœur était parée de toutes les qualités et je déployais toutes sortes de stratagèmes pour m'en approcher, la voir ou entrer dans son champ visuel pour essayer de m'en faire remarquer. Il n'est rien de plus doux qu'idéaliser une jeune fille, c'est délicieux comme une promesse de paradis, c'est comme si un voile se relevait pour découvrir une petites partie des Cieux. Souvent au gré des changements d'écoles et des migrations de la famille, j'ai oublié l'une pour en élire une autre dans mon cœur. Ce monde secret est venu par-dessus les trois autres de mes mondes, il s'est rajouté à eux en douceur sans déranger leur fonctionnement. Comme une neige immaculée, cette douceur est descendue des cieux pour rendre ces trois autres mondes plus beaux et plus tendres. Cette ferveur silencieuse, cette quasi-dévotion m'a appris le sens du beau, de l'acte gratuit, de l'acte déraisonnable. C'était un idéal, un but inaccessible. C'était un idéal qui m'a tiré vers mieux, vers plus profond, vers plus sérieux. C'était un idéal qui a convergé lentement mais sûrement vers le réel. Ignorer cet aspect ce serait se tromper de réalité. Toutes ces filles que j'ai aimées, je les ai aimées sans rien attendre en retour, juste pour cette infinie douceur de vénérer. Peut-être étais-je amoureux simplement de l'idée que je me faisais d'elles. Mais cette idée là me fit grandir. Peut-être n'était-ce que l'ombre de ces jeunes filles qui me tira plus en avant… Mais cette ombre ou cette image là restera toujours une partie ou plutôt une émanation d'elles-mêmes. Et avec le recul, je peux dire sans me tromper que la femme que j'ai choisie est incontestablement l'héritière accomplie de tous ces amours secrets.
Le monde extérieur, je pourrais presque dire l'anti-monde, le reste du monde qui n'était pas l'un de ces quatre mondes avait très peu prise sur moi tellement ces quatre mondes se touchaient, s'imbriquaient parfois en laissant fort peu de vide entre-eux. Par ailleurs les mondes virtuels n'existaient pas encore. Ce qui fait que ces quatre mondes résument toute mon adolescence et c'est dans ces mondes que j'ai grandi.
Cependant j'entends quelques voix qui me demandent : et la religion dans tout ça ? Qu'elle est la place de la religion dans votre adolescence ? Comment a-t-elle contribué à vous faire grandir ?
La réponse est simple, la religion était partie intégrante du monde de la famille et du monde des scouts. La religion était une évidence, ni pesante, ni attirante. Elle était incluse dans ces deux mondes et jamais je n'ai eu le moindre doute ou la moindre réticence. Je ne peux pas dire qu'il y avait le monde de la religion, il n'y avait que la famille et le scoutisme qui l'un comme l'autre intégraient la religion de la même manière qu'ils intégraient les repas ou le sommeil. Ce n'est qu'une fois achevée la traversée de l'adolescence que j'ai fait vivre par moi-même la religion (avec bien sûr des influences). Une fois jeune adulte j'ai commencé à la comprendre comme une partie de moi-même et à l'aimer. Mais dans le temps de l'adolescence j'en ai été imbibé comme la sève imbibe le tronc en développement. Il fallait d'abord que je grandisse pour que la religion puisse fleurir en moi. Il me semble que le temps de la religion assumée est pour le temps de l'adulte. Lui seul est capable de vouloir et d'orienter toute sa vie en vue de l'ultime rencontre avec Dieu. Mais celui qui prive l'enfant de religion sous prétexte de liberté, le prive de cette éclosion harmonieuse et responsable à l'age adulte et le prive irrémédiablement d'une partie de son développement humain. Jamais l'enfant sans religion ne sera l'adulte qu'il aurait dû être.
"On est de son enfance comme on est d'un pays" écrivait Antoine de Saint Exupéry qui sans doute mieux que personne a évoqué le monde de l'enfance. Voilà, à partir de mon caractère qui fut déterminé par mes gênes, ces quatre mondes de mon enfance ont façonné une partie de ma personnalité. Cela c'est fait de manière indépendante de ma volonté. C'est là le fait d'autres hommes. Le reste de ma personnalité a été le fruit, est toujours le fruit, de mes propres actes volontairement posés mais jamais je ne pourrai changer que ma personnalité fut bâtie sur quelque chose qui préexistait à ma conscience véritablement libre.
(à suivre)
Commentaires