Jean-Louis Larochette-Prost revient sur les différences entre l'acte d'écrire pour ces deux publics différents que sont la jeunesse ou les adultes, et la médiation imposée par l'éditeur. Jusqu'où aller pour que le lecteur reste "accroché"?
Je préfère ne pas parler de problèmes. Cela dit, les questions déferlent, qu’on le veuille ou non. Écrire, c’est aussi choisir : que dire, que raconter ? Par conséquent, que faut-il seulement survoler, voire supprimer d’un premier essai, d’un premier brouillon enthousiaste ?
Récemment, une éditrice a aimablement refusé l’un de mes manuscrits au motif qu’il lui semblait trop ample, avec des épisodes intéressants, mais longs et parfois chargés de digressions. Or mes premiers lecteurs, ceux que j’appelle les pionniers ou les cobayes, m’avaient assuré que précisément ils appréciaient ces passages étendus dans lesquels je les invitais à voir et entendre plus loin, beaucoup plus loin ; comme dans certains romans célèbres où les auteurs paraissent se régaler de dire beaucoup sans ennuyer les lecteurs pour autant. Il paraît que ça ne se fait plus.
Oui, mais si moi, je le fais ? Au risque de ne pas être publié... Là est la question.
Au contact de nombreux collégiens et lycéens, je sais depuis longtemps que les jeunes sont presque tous allergiques aux descriptions, qu’ils trouvent longues et ennuyeuses, surtout dans les œuvres antérieures à leur génération. Cela s’explique aisément : Un jeune lecteur « d’autrefois » pouvait apprécier une page entière consacrée à la description d’un paysage tropical et en sortir dépaysé, voire un peu excité ; alors qu’un jeune d’aujourd’hui, même peu lettré, a vu cent fois le même cadre naturel à la télé, dans des magazines, sur Internet, si encore il n’y est pas allé en vacances ! Il se demande donc pourquoi l’auteur s’étend si longuement sur les paysages, les objets, les tenues vestimentaires, etc. C’est qu’il est né dans l’image, pourrait-on dire, tandis que ses parents et à plus forte raison ses grands-parents font partie de la « galaxie Gutenberg », ceux qui sont nés dans le texte.
J’entends déjà l’objection – à laquelle je souscris : Un roman pour enfants ou adolescents ne doit pas pour autant se limiter à une série d’épisodes purement narratifs, avec force rebondissements, dialogues et autres effets spectaculaires faciles à lire, au détriment de la contemplation et de la réflexion, qui vont d’ailleurs de pair.
De jeunes lecteurs m’ont aidé à mieux comprendre, par là à mieux répondre. Avec leurs mots parfois maladroits, mais toujours sincères, ils disent presque tous qu’ils préfèrent l’action plutôt que la description, le discours direct plutôt que l’indirect et pire, l’indirect libre (où l’auteur s’exprime à sa manière à la place de ses personnages). Ils survolent ou sautent carrément les parties descriptives – que les écrivains ont la bonne idée de caser dans des paragraphes bien délimités... Ils veulent des faits, des coups d’éclat, du mouvement, etc. Contemplation et réflexion ? La plupart de ces jeunes, surtout les garçons, prétendent n’en avoir que faire, ajoutant qu’ils n’ont pas besoin des romans, dans ce cas... Certains terminent ainsi : « Dans la vie qu’on mène, il y a déjà de quoi nous faire réfléchir. Et contempler aussi. »
Je ne suis pas pessimiste : beaucoup d’autres jeunes apprécient vraiment les romans de type classique, qu’ils ne jugent ni ennuyeux, ni inutiles, ni prétentieux. Cela dit, quand je commence l’écriture d’un roman pour adolescents, je suis bien obligé de tenir compte des faits, de la réalité. Se pose alors la question du choix dont j’ai parlé plus haut. Il faut maintenir l’équilibre, ne pas verser dans la facilité, encore moins dans la démagogie, l’écriture niaise qui va plaire à coup sûr. C’est très difficile, mais aussi passionnant. Je pâtis, souvent, et je ne parle pas de page blanche, ignorant heureusement cette épreuve, mais je me régale du même coup. C’est une sorte de jeu de trapéziste. Il faut faire bonne figure, être à l’aise, mais en dessous rester constamment en éveil, extrêmement concentré, sous peine de tomber. Il faut accepter la critique – des lecteurs pionniers, des éditeurs – et persévérer. Alors on peut écrire pour les jeunes, quitte à prendre le risque de ne pas être publié. Il faut donc écrire avec patience et discernement. Et un jour, le téléphone sonne...
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