On entend régulièrement les professeurs (et nombre de parents) se plaindre du fait que « les jeunes ne lisent plus ». C’est un fait, quoiqu’il faille nuancer : ils lisent moins, ou bien ils lisent d’autres choses et autrement. D’autres poncifs (ou truismes) s’ensuivent : la télé, la bande dessinée et Internet ont pris le relai. Voire ! On sait que les bibliothèques municipales n’ont jamais été aussi fréquentées par les enfants et les adolescents, depuis quelques décennies. Alors ? Alors il faut s’interroger sur les causes de cette apparente ou relative désaffection, tant il est vrai que les enfants sont ce que nous en faisons, par l’éducation et l’instruction. Mon avis est qu’il est nécessaire de mieux préparer les jeunes à la lecture, sans se soucier outre mesure de leur engouement pour le Net et la BD. Reconnaissons aussi que nous, adultes ayant dépassé la quarantaine, lisions beaucoup plus, mais essentiellement parce que la lecture était quasiment le seul moyen de se distraire – et de se cultiver – à ce moment-là. Ah ! Si nous avions connu le PC portable, dans les années cinquante et soixante, combien d’entre nous auraient peu ou prou fini par laisser de côté les beaux livres de la Verte et de la Rose, du Signe de Piste et de Hetzel ? Soyons honnêtes.
Bien, me dira-t-on, mais alors, que faire ? Je termine avec mon cheval de bataille : l’éducation et l’instruction. Éducation : soyons ou redevenons des exemples (évitons « modèles », peut-être) : Lisons-nous, à la maison ? Consacrons-nous des moments à la lecture, dans le calme, une ambiance sereine ? Sinon, comment veut-on que nos enfants prennent goût à la lecture ?
Passons à l’instruction : en réservant des parties du programme de français à l’étude d’œuvres pour la jeunesse, et Dieu sait si l’on en compte de très fameuses, de celles qui ne versent pas dans la supercherie, ni les procédés faciles. Les bons livres pour enfants et adolescents conduiront immanquablement aux bons livres tout court. Les jeunes qui se seront penchés sur de solides romans propres à leur âge, avec l’aide, les conseils et la bienveillance des enseignants, se pencheront d’autant plus facilement sur les fameux « grands classiques » qui rebutent tellement la plupart d’entre eux à l’heure actuelle. Ils ne verront plus la frontière, ils n’entendront plus marteler « ce n’est pas de la littérature », et ils accepteront peu à peu de considérer les romans des « grands auteurs » avec intérêt.
Et je pense à quelques élèves que j’ai aidés lors de cours particuliers. Presque tous répétaient la même plainte, que je résume ici : « Les romans (et les pièces de théâtre) qu’on étudie au collège et au lycée sont presque toujours trop éloignés de nous de par leur contenu, les idées, les problèmes soulevés, qui ne nous concernent quasiment en rien. On nous reproche souvent notre manque de maturité, mais on nous oblige à disséquer des œuvres écrites pour des adultes, d’une part, des adultes cultivés, d’autre part, et enfin des adultes des siècles passés, quand ce n’est pas dans un français ancien auquel nous ne comprenons rien ou pas grand-chose. » Je répondais, prévenant et prudent, mettant la culture générale et le patrimoine culturel en avant. Les jeunes admettaient du bout des lèvres... avant de répéter ce que j’ai résumé plus haut.
Rien n’est perdu. Je pense que dans quelque temps – des rumeurs glissent çà et là – un ministre de l’Éducation nationale, entouré d’écrivains, d’éditeurs, de conseillers littéraires, de jeunes adultes amateurs de lecture, d’enseignants et de parents d’élèves, osera enfin insérer l’étude des romans pour la jeunesse dans les programmes. Sans pour autant en expulser Balzac, Montesquieu, Corneille et consorts.
Et un jour, qui sait, nos enfants et petits-enfants auront à plancher sur le parallèle entre le Prince Éric et Don Rodrigue, pourquoi pas ? Ou Huckleberry Finn et Gavroche.
Jean-Louis Larochette-Prost