Il y a quelques mois de cela, un méchant pavé de papier, « 1940-1945, années érotiques », ébouriffait quelques tignasses de notre petit milieu d’amateurs du Signe de Piste. On prête à Patrick Buisson, son auteur, si j’en crois ce que je trouve sur le net, une enfance maurrassienne, des classes faites dans la presse nationaliste des années 80, puis dans une presse de droite plus « grand public », puis enfin une orientation vers l’action politique. Comme à la plupart des éminences grises, on lui en prête sans doute un peu trop par horreur du vide. Ce qui est sûr, c’est que « 1940-1945, années érotiques », provenant d’une personne que l’on peut penser versée dans son sujet, réserve à la Collection un beau coup de pied de l’âne. Oui, l'ardent Buisson semble brûler ce qu'il aurait du adorer.
Ci-dessus : dans quelques lignes, ces pauvres garçons vont s'en prendre plein la figure.
La collection Signe de Piste n’est d’ailleurs qu’une petite partie du sujet de P. Buisson, qui entend traiter de la vie érotique et sexuelle en France durant l’occupation. Première sujet d’importance : comment « gérer » de ce point de vue les troupes d’occupation, durablement éloignées de leurs épouses et amies ? Second sujet, la prétendue fascination érotique exercée par les Allemands sur les occupés. J’avoue qu’à la sortie du livre, je n’avais guère cherché à aller plus loin. Quelques pages feuilletées à la Fnac m’avaient vite convaincu que l’indigence de son style amphigourique n’arrivait pas à masquer celle de la pensée. La France aurait eu pour l’Allemagne les yeux de Chimène ? Quelle nouveauté ! Et hop, vingt euros économisés, presque de quoi se payer un Signe de Piste sur le marché de l’occasion.
De toutes façons, le mal était fait, et l’on pouvait lire, par exemple dans l’Express : « le Prince Eric, un scout aux allures de membre de la Hitlerjugend ». Et c’est parti pour une salade niçoise qui aurait fait le bonheur du dictionnaire de Flaubert, fût-il encore vivant : « imagerie », « corps adolescents », « asexués », « pulsions homoérotiques » (pour avoir de telles pulsions devant des corps « asexués », chapeau ! mais l’on est dans le journalisme ici, pas dans la rigueur universitaire), « Vichy », et bien entendu le lieu commun lauréat de ce genre de prose : « sanglés dans leur uniforme ». Veut-on encore un échantillon du talent littéraire de Buisson ? Avec plaisir : « insouciance des éphèbes », « sylphes graciles » (il devait parler des Ayacks, sans doute). « Quelque chose s'est affermi dans le trait de Joubert et dans son univers graphique, qui semble s'être ajusté sur l'esthétique national-socialiste, via un détour commun par le style néomédiéval, comme s'il s'agissait de s'approprier la virilité du vainqueur. » (…) « le visage d'Eric, les volutes blondes de ses mèches, la perfection de son corps aux membres déliés si semblables à ceux de la Hitlerjugend. » Rien que ça ! Il ne manquait de « cuisses fuselées » pour parfaire le tableau. Manifestement, le prince de Swedenborg inspire à Patrick Buisson de tailler sa plume et d’écrire beaucoup ; et l'on se demande si l'auteur de "1940-1945, années érotiques" ne confond pas un peu vite la production du Signe de Piste et celle de Jean-Daniel Cadinot.
Et pendant ce temps, comme aurait dit Coluche, la Milice défilait quatre par quatre, armée jusqu'au dents et prête à bondir...
Ci-dessous, un exemple des corps graciles et asexués de quelques sylphes adolescents sanglés, comme il se doit, dans leur uniforme. Admirez en particulier les volutes blondes des mèches du dominicain sur la droite, et l'esthétique manifestement national-socialiste d'un peu tout le monde. Comment ne pas avoir des pulsions homoérotiques face à cette imagerie?
J’ai donc lu avec un plaisir véritable, dans le numéro 340 de mars 2009 de la revue « l’Histoire », une réfutation en règle des élucubrations de Patrick Buisson. L’auteur, Fabrice d’Alameida, est historien (enfin ! c’est le premier dans cette triste affaire). Que l’on juge à travers ces mots tendres de ce que vaut le livre – l’article complet se lit pour 2 euros 50 sur le site de la revue. (Nous soulignons).
« La Seconde Guerre mondiale aurait été (…) un temps où la quête du plaisir l'aurait emporté sur toute autre considération (…) Telle est la fable que Patrick Buisson (…) sert à ses lecteurs (…)
Sur la seconde question (la sexualité a-t-elle modifié le cours de la guerre ? NdlR) (…)
le livre manque totalement son objet. ( …)
Patrick Buisson (…) poursuit dans son style aporétique :
« Il n'empêche : ce prurit de jeunes mâles à la sève bouillonnante, cette
fièvre née de la dépossession ou de la menace de dépossession que la
concurrence prédatrice des Allemands faisait courir à leurs prérogatives
masculines (etc etc NdlR)
Voici donc la « méthode » Buisson : pas de preuve et des rapprochements rapides pour justifier une dénonciation à l'aide de prétéritions et d'euphémismes. (…) Alors, faut-il passer ce livre par pertes sans profit ? Il faut regretter son manque de méthode, critiquer sa malhonnêteté à l'endroit de ceux à qui l'on doit un véritable apport scientifique sur le sujet. On pourra aussi s'attrister de l'esthétique « années 1940 » et des tartuferies de l'auteur. (…) »
« Prurit de jeunes mâles à la sève bouillonnante », « volutes blondes de ses mèches», « l’uniforme qui les sangle »… m’est avis qu’il n’est même pas besoin d’épiloguer.
Avant de se quitter, un dernier prurit de jeunes mâles à la sève bouillonnante, tiré d'un roman coquin bien connu et chroniqué dans le tome 3 de la collection Pierre Joubert chez Delahaye . Notez bien, come Patrick Buisson, toutes les sangles et tous les uniformes...
P. Sch.