Autre questionnement : peut-on tout dire dans la littérature de jeunesse ? Il y a certes la loi de 49 qui est très claire et rigoureuse : pas d’apologie du vol, ou du mensonge, ou de la lâcheté, etc. Ceci dit, n’importe quel adolescent peut voir aujourd’hui de telles choses. Il suffit de regarder, par exemple, un film de Martin Scorcese. Ce n’est peut être pas de l’apologie, mais le vice est représenté crument. Partant du constat que la loi de 49 représente une exception datée, certains éditeurs choisissent de dire beaucoup dans leurs livres. D’autres s’y conforment plus strictement.
Dans quel but écrit-on un roman pour la jeunesse ? Qu’est-ce qui en fait la spécificité ? Une écriture plus simple, pour « accrocher » le sujet jusqu’au bout ? Des thèmes qui parlent aux adolescents ? Un narrateur qui a le même âge ? Un point de vue spécifique, une approche optimiste des choses, une volonté d’éduquer, de diriger le regard du lecteur dans une direction particulière ?
Le dossier ne donne pas la réponse car il y en a autant que d’auteurs. Mais on peut à nouveau penser à notre chère collection, dont un trait des plus typiques était justement la vision du monde et la manière de présenter les choses : dans le Signe de Piste, le bien a pratiquement toujours le dernier mot. C’est la « petite fille Espérance » de Péguy dont Dalens parlait dans ses entretiens. L’espérance est parfois difficile à avaler, mais le retour sur investissement, si j’ose dire, est positif. Dans « Jimmy », Jacques se retrouve en chaise roulante mais avec le goût à la vie et un mariage en vue, ayant surmonté une ou deux gardes à vue et une famille au mieux monoparentale (et un fils de juge en manque de claques !). Tous les Foncine ou presque se terminent bien (il lui faut souvent un deus ex machina, à vrai dire). Tous les « Safari », à mon sens, sont l’histoire d’une épreuve surmontée victorieusement (Alain Arvel en est l’un des meilleurs représentants). Le Signe de Piste baigne dans les happy ends, dût-on faire endurer les pires tourments au héros avant cela. A chaque fois que paraît une tête à claque, un voyou, un sauvageon ou un grand malade, c’est pour mettre en valeur le bien qui reste encore en lui.
A condition, bien entendu, qu’il ait moins de 18 ans… On a pu reprocher au Signe de Piste un optimisme systématique, en oubliant qu’il ne s’applique pratiquement qu’aux jeunes. La « petite fille Espérance », pour autant qu’elle soit soumise au passage du temps, est vouée à devenir une marâtre sans éclat ni attrait.
Les thèmes qui parlent aux jeunes, est-ce spécifique aux romans pour la jeunesse? Non mais c’est nécessaire. On n’attire pas des mouches avec du vinaigre. La question n’en est pas réellement une. Il en est de même pour l’écriture simple.
Et l’emploi d’un narrateur qui a le même âge que le lecteur ? Là, nous touchons quelque chose de scabreux. C’est un artifice fréquent, que je trouve un peu daté et périlleux. Il prive l’auteur de son style. Foncine s’y était essayé, je crois, pour les « canards sauvages ». Qu’en reste-t-il ? « on est une bande de jeunes, on a des mobylettes et l’injustice nous révolte ». Dalens l’avait tenté pour « le juge avait un fils » et avait bien mieux réussi, surtout parce qu’il faisait parler son Jacques comme un adulte. D’autres auteurs, et pas des moindres, s’y cassent les dents : Bruno Saint-Hill, dans « Outreville », tente de dire « je » en prenant les accents d’une gouape des années 60. Près de cinquante ans plus tard, qui se laissera prendre à cela ?
La morale de l’histoire, c’est de laisser les narrateurs qui ont le même âge que les lecteurs… à la « grande » littérature. Cela marche beaucoup mieux. Pensez à Nizan : « j’avais vingt ans, je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Ou même à Cendrars : « en ces temps-là, j’étais dans mon adolescence ». Ou Camus. Ou au maître de tous les autofictifs, Marcel Proust.
On pourrait aussi se demander ce qui ne se fait pas dans la littérature de jeunesse. La réponse semble bien plus simple que pour tout le reste : le sexe. On ne parle pas de sexe dans les romans pour la jeunesse ; alors que l’autre chose sensible, la violence, peut y avoir plus facilement droit de cité. Songeons à Harry Potter : ca canarde dans tous les coins, ca tombe de partout. Mais les seuls actes sexuels commis par les personnages se situent dans la hiatus de 29 ans qui sépare le dernier chapitre du tome 7 de son épilogue. Il en était de même déjà dans la « tâche de vin », où le comble de la tension électrique est atteint, dans la collection, en faisant paraître un personnage féminin (Marie-Françoise) dans le territoire partagé par la patrouille du Loup et quelques pages du palais de Swedenborg. J’entends que Jean d’Izieu serait allé un peu plus loin ; mais pour pratiquement toute la collection Signe de Piste, on en est resté là au fil des années.
Le mérite du dossier de la « revue des livres » est de bien mettre en évidence la diversité que recouvre l’expression « littérature de jeunesse ». En en dressant un tableau, il permet de comprendre ce qu’elle est aujourd’hui ; il permet également de placer la collection Signe de Piste sur ce tableau, et d’apercevoir où le poids des années a contribué à en faire une collection aujourd’hui atypique, mais aussi de voir les endroits où elle a été l’une des premières, il y a 70 ans, à tracer un chemin que de nombreux autres ont suivi. Cet article est bien sûr un appel à creuser ce qui fait la spécificité et la modernité de la collection ; sujet vaste et que l’on n’épuisera pas en quelques semaines…
Bonjour-Belle analyse, merci
Ceci dit, ça finit vraiment bien..."Longue Piste" ?;-)
Cordialement
Rédigé par : bruno | 06 février 2009 à 12:09
En ce qui concerne le sexe dans les romans pour ados votre remarque n'est pas tout a fait exacte. Dans la série des Cherub de Robert Muchamore le sexe bien que peut présent (par contre les amourettes entre ados sont nombreuses)n'est pas tout à fait absent. Le volume 7 "A la dérive" traite même des réseaux criminels de prostitution de mineur.
Yan
Rédigé par : yan | 11 février 2009 à 14:23