Jean-Louis Larochette-Prost, l'auteur du "Continent Secret", nous fait l'honneur d'un texte où il réagit à un point particulier de la vidéo de Pierre Joubert signalée ici même. L'art imite-il la nature, qui imite l'art? D'où vient l'image d'un personnage de roman? Voici la réponse d'un auteur. Depuis le traveling tant vanté du "Prince Eric", les liens entre images et Signe de Piste n'ont pas tous été démêlés...
En regardant la vidéo consacrée à Pierre Joubert (2 décembre 2008), j’ai été heureusement surpris de constater que j’opérais de la même manière pendant la création de mes histoires : comme l’illustrateur, je collectionne les photos sur lesquelles je crois reconnaître mes personnages. Je les découvre dans des catalogues, des magazines, des prospectus, des tracts publicitaires. La sélection se fait sur un seul critère, la spontanéité. En effet, je ne découpe que les modèles qui me « parlent » immédiatement, surtout si je les passe en revue à toute vitesse, sans réfléchir. Ainsi, à raison d’un portrait sur cent en moyenne, un éclair se produit : C’est Untel ! Souvent, je ne sais pas bien l’expliquer. Quelque chose a retenu mon attention, dans le regard, l’attitude, le sourire, etc.
Quant à dessiner les personnages et les scènes du Continent secret, c’est une autre histoire. Je ne produis que des esquisses maladroites, dont j’ai pourtant besoin pour mieux baigner dans l’ambiance du roman. Concernant Tim Perrinn, le cas est particulier, puisque j’ai trouvé son sosie dans un film, (voir l’article SDP du 17 mars 2008).
Tout cela pour dire à quel point l’image est importante pour l’auteur et le lecteur… même dans le cas où le livre n’est pas illustré. En effet, en créant le personnage ou en lisant ses aventures, nous sommes obligés de nous le représenter dès sa première apparition. Nous ne pouvons y échapper, l’image s’impose : Par exemple, si je vous dis ou si vous lisez, comme à présent, « bougie bleue allumée », l’image se crée automatiquement en vous-même, quoi que vous fassiez pour y échapper. J'enfonce des portes ouvertes? Tout le monde sait cela depuis longtemps? Il n’empêche : comment chacun d’entre nous se représenterait-il le prince Éric si l’œuvre de Dalens n’avait pas été illustrée ? L’illustrateur impose-t-il justement *son* image ?
Qui d’entre nous n’a pas été surpris, déçu ou, au contraire, ravi par l’image d’un héros de roman découvert ensuite au cinéma ? « C’est bien lui (elle) ! » ou « Je ne le (la) voyais pas du tout comme ça ! »
L’illustrateur vient en aide au lecteur plus qu’il ne s’impose à lui, je crois. Dans le reportage, on voit Pierre Joubert étaler les photos qu’il a découpées un peu partout. Il serait intéressant de connaître ses critères de choix. Pourquoi tel visage et non tel autre ?
Pourquoi ai-je bondi de surprise en découvrant « mon » Tim Perrinn au milieu d’un film qui n’a aucun rapport avec le Continent secret ? Je ne sais toujours pas répondre. Peut-être le mystère est-il préférable, après tout ?
Note de la rédaction : il n'est pas interdit à nos estimés lecteurs de tenter d'effeuiller le mystère! "Visualisez"-vous un Signe de Piste lorsque vous le lisez? Les illustrations sont-elles pour vous une aide ou un frein? Y a-t-il des illustrateurs qui vous inspirent plus que d'autres? A vos claviers...
L'illustrateur d'une oeuvre littéraire impose t - il aux lecteurs son image des personnages ?. Il me semble que le verbe "imposer" possède un sens trop impératif pour définir ce qui peut se nouer entre une oeuvre, son illustration et un lecteur. Ne serions nous pas en présence de phénomènes psychologiques où se construisent des perceptions nourries par l'inconscient. ?. Loin de contraindre le lecteur, les traits qu'un illustrateur prête aux personnages d'une oeuvre ouvrent au contraire l'espace d'une inter - subjectivité propice à tous les fantasmes ... N'auriez vous jamais lu "Le Petit Prince", dont le chapitre inaugural relate le souvenir du premier dessin de l'auteur ?. À l'âge de six ans, celui - ci dessina un boa avalant un éléphant dont la représentation n'effraya aucune des grandes personnes qui s'obstinèrent à n'y voir que le contour d'un chapeau... De même, les traits que P. Joubert donna au jeune Prince de Swedenborg n'épuiseront jamais les images que les lecteurs de la série du Prince Éric ne cesseront de lui superposer dans leur inconscient... C'est une vérité que les héros n'ont pas de visage, jamais plus dans la réalité que dans les romans. Le héros n'a d'autre visage que celui de qui en investi le mythe, auquel on s'identifie si profondément !. C'est d'ailleurs le ressort de l'oeuvre romanesque. C'est pour cela que "ça" fonctionne si bien !. L'apparence qu'un illustrateur donne au personnage d'une oeuvre littéraire est contingente. Elle n'est pas immanente, mais transcendante ! Pour admirable qu'elle soit, la forme qui lui donne un illustrateur n'épuise aucunement l'univers des représentations inconscientes du lecteur. Aussi ne me suis - je jamais senti prisonnier de quelques coups de crayon ou de pinceaux, même les plus habiles, car le véritable illustrateur d'une oeuvre, c'est moi lorsque j'en suis le lecteur. Mes portraits intérieurs seront toujours plus beaux, plus merveilleux que ceux des plus géniaux illustrateurs... lesquels, cependant, possèdent bien des mérites, auxquels je rends bien des égards.
Rédigé par : J-L BADER | 16 décembre 2008 à 18:29