Les Cicatrices du chemin est le deuxième tome des Chroniques d’Yliès de Fonlabourg.
Au XIIIe siècle naissant, Yliès et Gatien, tout jeunes hommes, sont liés par un serment d’amitié quand la croisade des Albigeois désole une grande partie du pays occitan, notamment lors du siège de Minerve. Féconds éléments pour un roman épique.
Évoquer les Cicatrices du chemin incite d’abord à employer des termes tels que « roman historique », « roman de chevalerie », aussi honorifiques et engageants que réducteurs. En vérité, l’œuvre de Dominique Mauriès dépasse ces clivages, car au-delà de la croisade contre les Albigeois et les Cathares d’une manière générale, le lecteur est invité à côtoyer de jeunes héros – la plupart n’ont pas quinze ans – d’une époque où l’adolescence n’existait pas. Par là nous entendons que le roman tout entier rend hommage à ces vaillants acteurs de l’Histoire, enfants de par leur âge et leur constitution, leur corps, mais déjà adultes de par les mœurs, le contexte social de l’époque qui fait encore couler beaucoup l’encre des historiens comme des romanciers : le Moyen Âge.
Appeler ces héros des « enfants adultes » n’a rien d’infâmant, ni de ridicule, au contraire : Entre eux et avec un certain humour ils font souvent référence à leur aspect de jeunes imberbes angéliques, mais à travers leurs périples nous découvrons des jeunes gens à qui ont été inculqués des préceptes moraux aussi solidement fondés que les forteresses et autres châteaux dans et autour desquels se déroule l’implacable, la brutale et aveugle guerre livrée au Cathares, à tous ces Parfaits qui osent choisir une autre route que le pape et l’Église tout entière. Animés par une foi puissante, inébranlable, avec au cœur le sens de la parole donnée, de l’engagement, de la fidélité et de l’honneur, ils défient dans la joie et avec un courage sans limites le déterminé Simon de Montfort et ses alliés.
Roman historique, disions-nous. En effet, puisqu’il y est question de conflits ayant eu effectivement lieu au début du XIIIe siècle dans le sud de la France. Cela dit, l’auteur développe le tissu historique pour nous offrir une histoire particulière, précise et concise, avec maintes références relatives aux tenants et aboutissants des conflits, aux stratégies adoptées de part de d’autre, et jusqu’aux détails touchant aux équipements, aux vêtements, aux armes… et aux tournures propres à l’époque, car l’auteur nous régale d’une syntaxe et d’une langue archaïsantes qui, pour dérouter un peu dans les premières pages, nous plonge habilement dans l’action, comme si nous étions tout près des valeureux héros de la vaste fresque.
Roman de chevalerie, ajoutions-nous. C’est évident dans la mesure où la quasi-totalité des personnages des Cicatrices sont des nobles, ont été adoubés ou le seront bientôt ; avec tout ce que cela suppose de préparation, mais aussi et surtout de probité et de courage. Certes, mais contrairement à bien des jeunes personnages des romans propres aux décennies précédant le XXIe siècle, les héros de Mauriès ne jouent pas aux chevaliers : ils le sont. Leur mérite est d’autant plus grand que chaque jour ils risquent réellement leur vie.
Au cœur de l’intrigue, la destruction de la Malvoisine, gigantesque et efficace catapulte que les ennemis jurés des Cathares emploient pour détruire leur dernier puits, par là les priver de l’eau absolument nécessaire à leur survie pendant le siège. Aubéric de Minerve, ami intime, pour ne pas dire frère d’Yliès et de Thibaude, participe à l’opération qui exige d’extrêmes précautions, autant de courage, voire de témérité. Elle sera ingrate. Mais la Malvoisine et le siège devant Minerve donnent aussi l’occasion de mesurer la force, la détermination et la foi des Parfaits, hérétiques sommés d’abjurer, ce qu’ils refusent avec la ferveur qui les caractérise ; jusqu’au jour où « le soleil eut honte », quand des Parfaits se jetèrent dans les flammes, enjoués à l’idée de bientôt entrer dans le « beau royaume ».
À ces péripéties guerrières il faut ajouter les intrigues familiales, notamment quand des frères longtemps séparés par les affres de l’Histoire se retrouvent avec des larmes de joie, quoiqu’ils ne soient pas du même camp. Mais leur sens de l’honneur sauve la mise et évite les conflits fratricides : chacun suit son chemin avec autant de fierté que de bonne volonté. Et nous, lecteurs, refermons l’ouvrage avec quelque nostalgie à l’âme : Nous étions si près de ces nobles jouvenceaux – nobles dans toutes les acceptions du mot.
L’écriture de Dominique Mauriès a ceci de savoureux et de profond en même temps qu’elle s’est appuyée sur de nombreux ouvrages historiques de référence, qui sont d’ailleurs mentionnés en annexe. Sans compter les sources romanesques, qui ajoutent sans doute au caractère épique du roman. Enfin, soulignons que l’auteur a également puisé dans un dictionnaire d’ancien français les nombreux mots et expressions qui ornent la narration aussi bien que les dialogues, fort nombreux, toujours prenants, ne laissant aucune place à l’improvisation. Grand est le mérite de Dominique Mauriès dans la mesure où à aucun moment l’on ne perçoit le moindre labeur piteusement scolaire dans la trame, la syntaxe et l’agencement des péripéties, quand on sait combien il est hasardeux de se lancer dans l’écriture d’un tel roman sans une imprégnation pugnace de l’Histoire.
Le deuxième volume des Chroniques d’Yliès de Fonlabourg demande une lecture patiente, peut-être surprenante dans les premières pages, comme nous l’avons vu, mais ensuite captivante et même, il faut le souligner, formatrice : Tout sépare les jeunes héros médiévaux des adolescents d’aujourd’hui, quant aux mœurs, à la langue, à l’éducation (religieuse, morale et autre), et ainsi de suite. Et pourtant, ces différences éclatantes ne nuisent en aucun cas au lecteur, quel que soit son âge par ailleurs. Une lecture formatrice, en effet, d’abord de par son caractère historique – le catharisme ne figurant plus depuis longtemps dans les manuels scolaires. Formatrice, ensuite, de par la personnalité, le caractère des principaux personnages : Leurs qualités, si nombreuses, si bien offertes au lecteur, pourront laisser quelques traces profitables dans son esprit. Si un adolescent d’aujourd’hui serait bien en peine d’imiter les faits et gestes d’Yliès, Gatien, Thibaude et d’autres encore, en revanche quelle opportunité s’offre à lui de s’inspirer de leur conduite ! A l’heure du « tout et tout de suite », quel exemple – et non leçon – de patience, de pugnacité, de foi et d’espoir !
Avec Dominique Mauriès, qu’on se laisse guider en toute confiance dans les méandres de cette période médiévale souvent méconnue, et l’on pourra, comme par enchantement, se sentir voyager dans le temps, au fil des pages, avant de se réveiller lentement, encore étonné d’avoir été baigné dans un passé lointain plus lumineux que certains anciens ouvrages scolaires l’ont prétendu.
J.-L. L.-P.
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