Le page d’un roi franc de Jérusalem tant épris de loyauté qu’il en devient lépreux pour son maître. Une fraternité secrète d’adolescents qui mêle son sang dans une chapelle templière et meurt dans une embuscade au cours de la dernière guerre. Les fils d’un aventurier exilés de leur voilier polynésien qui fuguent. Un gamin allemand évadé et recueilli par la jeunesse d’un village dont les parents sont morts en camp de concentration. Un adolescent nostalgique qui entraîne son entourage a vivre au temps des croisades et à partir délivrer Jérusalem. Le fils d’un juge pour enfants, saisi de rancœur contre l’un des prévenus de son père, qui est aussi son chef de patrouille. Des raiders partis se réconcilier avec leur passé et qui en viennent aux mains, voire au fouet.
On l’aura compris, la collection Signe de Piste nage dans le romantisme jusqu’au cou. Je voudrais, dans cet article, préciser ce qu’est ce romantisme de romans pour adolescents et souligner notamment par quoi il se caractérise et en quoi il diffère du courant artistique qu’illustrèrent un Chateaubriand, un Hugo, un Berlioz ou un Chopin.
Nous évoquerons bien sûr le maître en la matière, Serge Dalens, qui raconta sans hésiter la vie d’un homme d'état scandinave bien connu de nos lecteurs (non, pas Olof Palme). Beau gosse débarqué en France dans le seul but de tuer un garçon de son âge (13 ans), le prince Eric en tombe vaguement amoureux à la place, puis, victime de ses sentiments, le tue un peu quand même, tente de se suicider, échoue, rentre chez lui, déjoue deux révolutions de palais en faisant faire le sale boulot par son page, va brancarder à Lourdes, guérit des malades en les touchant de sa main, enterre son sosie orphelin mort de la tuberculose puis part faire la guerre en France et meurt bêtement, laissant inconsolées d’innombrables bourgeoises qui en auraient volontiers fait leur gendre. Et ça, c’est juste une partie de la production d’un des phares de la collection, qui ne doit pas faire oublier que d’autres auteurs n’ont, eux, absolument rien à voir avec le romantisme.
Sturm und Drang dans une des séries les moins romantiques de la collection
Dans son sens historique, le romantisme est un courant artistique, surtout littéraire et musical mais aussi pictural (Caspar David Friedrich) qui privilégie l’expression du sentiment individuel et de l’émotion par opposition au goût de l’époque précédente, classique, bien plus collectif et prisant l’ordre. Historiquement, le romantisme est une chose apparue dans ce qui tenait lieu d’Allemagne au début du 19ème siècle ; ses prémisses s’appelaient « sturm und drang » (Haydn, Goethe), ce qui souligne que le romantisme a toujours été identifiable par la présence de quelques images : le héros jeune, solitaire et sentimental, la nature sauvage, l’histoire et tout particulièrement le moyen-âge, l’irrationnel, la religion, la rêverie, lanuit, les pulsions, la souffrance, parfois la dynamique du groupe, de l’équipe, voire de la nation. Bien que de source allemande, le romantisme a facilement pris racine dans une France lassée d’un classicisme reconstitué, à l’antique, tonitruant et rigoriste, imposé à tous durant toute la période révolutionnaire.
Coin de patrouille, modèle 1830.
Le romantisme, qui n’est pas une école, n’a pas de maître ni de manifeste, se reconnaît donc à la présence des éléments que nous avons mentionné ci-dessus. Les deux Faust de Goethe en sont un exemple probant : sabbat de sorcières la nuit de Walpurgis, solitude et taedium vitae de Faust qui trouve la chair triste et a lu tous les livres, irruption du diable comme personnage de théâtre, final grandiose et philosophique dans une thébaïde de montagnes et de cavernes, rupture absolue des conventions théâtrales classiques – ce qui n’empêche pas d’ailleurs le second Faust de receler aussi force traits classiques.
Ce que le Signe de Piste retient du romantisme, sans que cela fasse partie d’un plan conscient partagé par les auteurs, pourrait être résumé par cette devise qui fut tout d’abord écrite au sujet d’un groupe de rock : énergie, intensité, éclectisme. Les romans de la collection sont entièrement faits d’action, et d’action qui ne chôme pas – comme le meilleur rock’n roll. Les enjeux en sont toujours immenses, quand bien même ils seraient vus à travers la loupe que sont les yeux d’un adolescent. Le temps de quelques pages, découvrir le secret de ce gars qui vient d’entrer dans ma vie devient mon unique préoccupation – dans une vie qui ne se préoccupe pas encore de salaires, de dépression ou de traites.
L'esprit Signe de Piste traduit en une couverture
Le romantisme du Signe de Piste a une forte couleur vitaliste : c’est l’éclosion du moi, l’envie de s’affirmer comme un homme libre, de laisser enfin sa trace dans le monde. Tout est vécu avec plus de force, comme pour le première fois : ce que l’on aime, ce que l’on construit, ceux avec qui on vit, les lois selon lesquelles on veut vivre, et déjà ce que l’on transmet. Cette expérience est présentée positivement, elle vaut la peine d’être vécue le plus intensément possible voire le plus extrêmement : on comprend vite à demi-mot que quelques années plus tard, la flamme sera sous le boisseau ou éteinte. Il n’y a pas de temps à perdre : donner tout, tout de suite.
L’adolescent du Signe de Piste n’a qu’un temps très limité pour réaliser quelque chose de valable de sa vie : après vingt ans, il n’en aura plus ni la possibilité ni l’énergie. Les romans du Signe de Piste sont les livres du pic de l’existence. Il n’y a pas de personnage d’adulte réussi et crédible dans la collection. Et il n’y a pratiquement pas de bornes au déchainement de cette énergie, parfois peu contrôlé : le Glaive de Cologne confine à l’hystérie, les différends des Forts et des Purs se règlent au fouet. Dans les Compagnons de la Loue, les héros sauvent des villageois d’une innondation. Dans la Bande des Ayacks, c’est une bataille rangée entre deux bandes de jeunes, qui ferait la une des journaux et mobiliserait deux cars de CRS à notre époque. Jimmy ? Un loubard roule sur un autre et l’envoie sur un fauteuil roulant. La Plaine Rouge ? Du corps à corps avec un poignard à la main. Récemment encore, dans La Dague et le Foulard, un Français et un Allemand font connaissance dans les années trente, se détestent, s’adorent, font de l’alpinisme ensemble, puis partent à la guerre (ah, cette obsession de la seconde guerre mondiale et de l’Allemagne) et meurent l’un en face de l’autre. Post-modernisme et second degré, sans aucun doute – le roman a été publié cette année –mais les thèmes ont la vie dure.
Oui, c'est de toi que je parle
Certains auteurs sont au demeurant plus vitalistes que romantiques : Larigaudie, Ferney, Foncine, Leprince sont les noms qui me viennent à l’esprit. D’autres sont en revanche totalement romantiques, peut-être trop: Paul Henrys est emblématique de cette tendance et Dalens lui-même la frôle à plusieurs reprises. La plupart mélangent les deux.
Il y a donc l’énergie joyeuse, la simplicité, la franchise des sentiments, une forme d’existence non dégradée à la base de la collection. Tout cela est indéniablement romantique ; mais c’est un romantisme passé au filtre du jeune âge. On ne trouvera pas ou très peu, dans le Signe de Piste de sorcellerie, d’élégie, d’humeurs nocturnes ou d’onirisme. Il ne sera pas question de destin national. Le temps qui passe ne sera pas un poids : le héros adolescent ne se rend pas compte qu’il en a peu et que le reste de sa vie sera un marécage. Mais il est d’un goût exquis de mourir le jour de ses dix huit ans, voire avant. Pensons sans rire au cul de pat du Signe Dans La Pierre : c'est l'auteur qui parle plus que ses personnages. Lanature est prisée car elle permet le déploiement de cette énergie de la jeunesse et surtout l’éloignement du monde des adultes ; elle n’est pas en revanche ce lieu de forces inconnues et de divinités indifférentes qu’on peut trouver dans le romantisme littéraire, jusque dans les opéras de Wagner.
Point non plus de retour sur soi, d’introspection, de mal du siècle : les héros de la collection le possèdent, le siècle !L’honnête homme classique, hérité de Montaigne, n’est pas décrié ou diminué, il est simplement ignoré : il semble qu’on ne sache pas même jusqu’à la possibilité de son existence. L’histoire est prisée mais comme le pourvoyeur d’un dépaysement plus que comme le lien avec la communauté des temps disparus. Les ruines ne sont pas honorées, sauf à vouloir les faire revivre. Les raiders de Foncine montent à Montségur non pour y archéologiser mais pour le faire revivre autour d’eux.
S'il y a des cheveux au vent, c'est du romantisme
On retrouve ainsi plusieurs thèmes dérivés de ce grand romantisme du 19ème siècle dans la collection Signe de Piste, suffisamment souples pour se transcrire sans grand changement sous la plume d’auteurs variés. Il y a donc un réelromantisme du Signe de Piste, qui possède des caractéristiques propres. Il est vitaliste. Il est fréquemment au-delà de la morale. Il n’est ni morbide ni étrange ni méditatif mais au contraire se plait dans ce qui vit, qui est fort, qui grandit, qui s’affirme – et très souvent qui partage et fait profiter le monde de sa surabondance. Néanmoins, il n’y a pas de romans dans la collection où l’on peut prétendre qu’un héros a changé le monde : l’élan vital peu canalisé des personnages de la collection ne se fait sentir que dans un petit cercle au mieux, comme une manière de rappeler que ces efforts, ce déploiement instinctif du moi adolescent feront rapidement long feu et qu’il n’y aura bientôt plus d’élan du tout.
C’est là une des raisons qui poussent à consigner sur le papier des instants vus a posteriori comme éphémères et qui n’ont jamais d'implication politique ou sociale – des trucs d’adulte pas très romantiques. Le romantisme du Signe de Piste est donc bien l’image d’un bref flamboiement adolescent que l’on sauve de l’oubli. C’est un romantisme d’adultes nostalgiques du romantisme, presque un sortilège, la conjuration espérante d’une époque d’abondance, de force et de nouveauté partie à jamais et dont on doute qu’elle ait vraiment existé – en tout cas pour soi. Comme pour les meilleurs groupes de rock (« hope I die before I get old »), les thèmes de la jeunesse, de l’énergie, de la vitesse en sont les formules magiques.
(tiré du blog de Pierre Schneider avec la complicité de son auteur)
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